mardi 23 avril 2024

Sainte Véronique, Tableau de Lorenzo Costa, 1508, Musée du Louvre

Mes années collège sont intimement liées à la mort. Des morts souvent accidentelles, à cette époque on roulait en deux roues sans casque, sans permis, la vitesse n’était pas limitée pour les véhicules sur certaines portions de nationale que nous empruntions pour aller au collège, alors il y avait régulièrement des classes endeuillées, de jeunes élèves qui pleuraient autour de cercueils fleuris.
Il y avait aussi la maladie, mais c’était plus rare.
Deux de mes copines sont mortes la même année.
La première a eu un accident le jour de la rentrée en troisième. Ses parents avaient du fric, ils lui avaient acheté une mobylette, elle les avait peut-être tannés pour avoir une mob ? Ils lui avaient peut-être acheté comme ça… Bref, elle a eu une mob à quatorze ans pour sa rentrée en troisième et le soir du jour de la rentrée elle est passée sous les roues d’un camion à quelques mètres de chez elle. Elle est morte deux jours plus tard. Je me souviens de son enterrement, de la cérémonie qui avait eu lieu chez eux, car ils n’étaient pas catholiques et il n’y a eu que des obsèques civiles. Réunis autour de son cercueil, des bouquets de fleurs à la main, nous pleurions en nous serrant les uns contre les autres épongeant notre chagrin dans d’immenses écharpes qui trainaient au sol. Les bandanas se transformaient en mouchoirs. Tête baissée, les garçons cachaient leurs larmes sous leurs cheveux longs.
L’autre copine qui est morte, c’était l’hiver suivant. Elle, elle était malade, elle avait une leucémie. J’étais allée la voir avant qu’elle ne meure. Je ne savais pas qu’elle allait mourir, c’est elle qui me l’a dit. C’était assez surprenant. Sa mère m’avait amenée dans sa chambre, elle était couchée dans son lit, toute blanche. Je me souviens qu’il y avait dans le hall d’entrée de leur maison, un immense portrait d’elle en noir et blanc et elle m’avait demandé ce que j’en pensais. Je lui avais répondu que je le trouvais bien, c’était sincère, c’était une belle photo où elle souriait avec ses cheveux longs qui volaient autour de son visage. Elle m’avait dit qu’elle allait mourir et que c’était pour ça qu’elle me demandait pour la photo. J’ai vécu un instant absolument effrayant, elle était transcendée par l’annonce de sa mort imminente, elle me disait qu’elle allait rejoindre Dieu et qu’elle était heureuse. Elle était livide et souriait tout le temps, elle souriait aux anges. Elle est morte le surlendemain. L’église était comble, la chorale de la paroisse, ses frères et sœurs ont lu dignement des prières autour du cercueil…
Mes parents avaient trouvé cette cérémonie magnifique et grandiose. Moi j’avais préféré pour ma copine à la mobylette dans le jardin de ses parents. Ils étaient accablés de chagrin et ça m’avait semblé plus vrai.
Je repense à ces deux enterrements, deux morts tragiques qui n’ont rien en commun. Deux filles si différentes, celle de la mobylette avait déjà couché avec des garçons alors que l’autre, elle se gardait intacte pour le soir de ses noces. Quand on a la fin de l’histoire, on a le droit de trouver que c’est dommage pour celle qui s’est gardée vierge pour personne.
Je les vois tellement à l’opposé, ces deux adolescentes qui déboulent régulièrement dans mes souvenirs, l’une brulant déjà sa vie entre les garçons, les clopes et les soirées déjantées et l’autre traversant la vie comme une illuminée.
La seule chose qu’elles avaient en commun, c’est qu’elles s’appelaient toutes les deux, Véronique.
Il n’y a plus jamais eu de Véronique dans ma vie.



dimanche 31 mars 2024


 8 + 2 = 10

Nous sommes invités à la soirée de la banque. Ce n’est pas notre banque, c’est la banque de la copropriété dont Jno est syndic bénévole et sa conseillère nous a gentiment conviés à l’assemblée générale annuelle qui sera suivie d’un repas et d’un spectacle. C’est ce qu’elle lui a dit et qu’il me répète en me demandant si j’ai envie d’y aller. Dire que j’en ai envie serait un peu exagéré, mais plutôt que je fais un effort pour sortir, pour ne pas rester terrée dans mon bureau, pour rencontrer des gens et que j’accepte cette sortie. 

La première partie de la soirée était un peu convenue, assis sur des gradins face à un écran géant, je vois défiler une présentation PowerPoint, des types en costume cravate micro à la main qui ambiancent en balançant des chiffres et quelques vannes et quelques bons tuyaux pour défiscaliser, ce qui ne me fait pas rire. Je n’ai rien à défiscaliser, donc ça m’évite de solliciter l’aide de mon banquier pour me défiler. 

On a droit à l’inévitable citation et référence à Michel Audiard et Montauban, mais quand on habite Montauban, il faut accepter que l’on vous répète à tout bout de champ qu’il ne faudrait jamais quitter Montauban et esquisser pour réponse un sourire convenu. 

Une fois, toute cette présentation ennuyeuse terminée suivie du vote à l’unanimité de toutes les résolutions face au téléobjectif d’un photographe qui scrutait l’assemblée dans l’espoir de saisir la main levée dissidente, nous sommes passés au repas.    

À l’entrée, Jno s’était vu remettre deux cartons qui attestaient que nous étions invités et sur lesquels étaient imprimés notre numéro de table et notre numéro de place : table 6 et places 9 et 10. Il ne restait plus qu’à trouver la table 6 au milieu des cinquante tables rondes disposées dans la salle au pied d’une scène sur laquelle on comprenait qu’un orchestre allait jouer. 

En me faufilant entre les tables avec la foule et entre la foule, j’aperçois assez rapidement la table 6 au pied de la scène et je fais signe à Jno en lui disant : «?c’est notre table?», au moment ou un type se précipite devant moi, me fait barrage de son corps (qui n’avait rien d’engageant) et hurle : «c’est notre table, nous l’avons réservée, nous sommes huit ?» en brandissant son carton sur lequel le numéro 6 est inscrit. Jno lui montre nos cartons avec le numéro 6, mais il n’en démord pas et persiste à me barrer l’accès à la table qui est devenue SA table pour lui et ses potes. La situation est comparable à celle que nous avons tous rencontrée dans le train ou dans l’avion quand on trouve une personne assise à son siège ou l’inverse et qu’il faut justifier de sa réservation ou aller chercher une hôtesse ou un contrôleur. Là, pas de contrôleur en vue et pas d’espoir que ça se débloque, j’ai juste le petit gros qui bloque la table en se dandinant devant moi, carton à la main. 

J’en ai marre et je dis à Jno : «on se casse !», et me ravise en me souvenant que le petit excité vient de nous dire qu’ils étaient huit et je vérifie que sur nos cartons il est bien inscrit 9 et 10 pour nos places. Cela veut dire qu’il y a dix places autour de la table et que leurs potes et nous ça fait 8 + 2 = 10. 

J’interpelle le petit chef de la bande et lui montre mes doigts, compte doucement jusqu’à 8 puis rajoute deux doigts pour aller à 10 et lui montre la table de dix couverts et m’assieds. 

Il n’a plus rien dit, même pas un mot d’excuse. Quand il a servi le vin à ses potes en nous ignorant, je me suis contentée de l’interpeler pour lui rappeler que 8 + 2 = 10, c’était valable aussi pour la bouteille de vin. 

Ils ne nous ont jamais adressé la parole de tout le repas, mais vu le niveau de décibels de l’orchestre qui m’a fait réviser tout le répertoire de mes quinze ans, c’était pas gênant. J’ai pu chanter en hurlant que j’allais siffler sur la colline avec mon petit bouquet d’églantines et que soudain j’ai vu passer les oies sauvages et même un vol de perdreaux. Tout ce que je n’écoute plus jamais, mais que je connais par cœur et que je chante en rigolant. Nos voisins de table attendaient avec une impatience non dissimulée que l’orchestre attaque sur du Sardou. Moi pas trop. Ça ne venait pas alors ils sont allés demander. Entre deux reprises, je les entends parler d’un concert de Johnny où ils sont allés, les places coutaient 150 € et Johnny, il était pas dans un état terrible. Ils parlent aussi voyages et croisières. Ils doivent être intéressés par les plans de défiscalisation.

La soirée s’est terminée sur Les lacs du Connemara, j’ai pensé à Armanet et on a mis nos manteaux et on est repartis. On a senti qu’on les libérait. 

En revenant chez nous, j’ai dit à Jno : « on cherche à voir des gens, à faire des rencontres, mais là c’était cuit dès le départ. » Jno m’a répondu : « de toute façon même s’il n’y avait pas eu cette histoire de table et cet imbécile, tu leur aurais dit quoi ? Que tu écris des livres ? Tu crois que ça aurait ouvert la conversation ? »





 


samedi 24 février 2024

Même si on déballe tout



 « Même si on déballe tout, on dévoile pas grand-chose. » 

C’est de Jane Birkin et je le reprends à mon compte, car je l’ai déjà dit, mais avec bien moins de grâce, un jour où une lectrice me disait à propos du livre où je témoigne des adoptions illégales au Sri Lanka : «?Maintenant, je connais tout de vous ! » en lui rétorquant : « Comment pouvez-vous donc prétendre savoir tout de moi ? » 

J’avais mis fin plutôt sèchement à la conversation, car j’étais à court d’arguments pour lui expliquer que je ne voulais pas être réduite au personnage féminin que j’incarnais dans ce livre qui n’était pourtant pas une fiction. Au moment où avait eu lieu cette rencontre avec cette lectrice qui semblait tellement heureuse de s’assoir à côté d’une auteure dont elle savait tout, j’étais en train d’écrire le roman « Sa vie ressemblait à un orage » qui au fil de l’écriture prenait malgré moi la forme d’une autofiction. Une autofiction c’est ce genre littéraire que j’aime tellement en tant que lectrice aussi et qui mêle la fiction et l’autobiographie. Partir de faits réels et s’engager dans l’imaginaire pour revenir au réel et ainsi de suite, c’est complètement enivrant pour un écrivain parce que c’est d’une liberté sans égal. C’est une perpétuelle promenade entre nos secrets les plus enfouis et notre imagination la plus débridée avec le sentiment grisant que le lecteur va s’y engager sans faire le tri. Dans son roman « De là, on voit la mer » Philippe Besson l’aborde avec brio par la voix de son personnage principal, Louise, une écrivaine dont il écrit : « Elle s’apprête à retourner écrire. À renouer avec la folie d’inventer des mensonges en espérant que les gens y croiront. » Il écrit aussi à propos de Louise : « C’est cette histoire qu’elle raconte. Pourquoi, elle n’en sait rien. Car elle ne sait pas du tout d’où viennent les histoires, comment elles adviennent. […], et puis un déclic se produit, un accident et l’histoire s’impose, il ne reste plus qu’à l’écrire. » 

D’autres écrivains et écrivaines comme Olivier Adam, Hervé Guibert, Cyril Collard, Camille Laurens, Christine Angot, Virginie Despentes, Amélie Nothomb et tant d’autres nous parlent de leurs vies et de leurs chagrins en écrivant des autofictions qu’il serait naïf de lire en cherchant à démêler le vrai du faux puisque tout est vrai, mais qu’il a fallu en passer comme le dit Louise, par une histoire qui s’est imposée, une histoire sans frontière entre le réel et l’imaginaire. 

Lorsque j’écris, je suis Louise, celle pour qui l’écriture justifie l’égoïsme, celle qui passe du réel à l’imaginaire pour parvenir à écrire la vérité. Et même si je déballe tout, je sais que je ne dévoile pas grand-chose. 

Savoir tout de moi n’intéresse pas le lecteur.  
C’est de lui qu’il cherche à savoir. 


samedi 10 février 2024

Le consentement et la loi

 


Cette notion de consentement que l’on veut intégrer dans le texte de la loi définissant le viol fait partie de ces arguments que l’on défend en toute bonne foi parce qu’ils nous semblent justes alors que si l’on prend l’avis des victimes, il apparait rapidement que c’est une très mauvaise idée.  

Notre texte de loi définit ainsi un viol : «Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.» (Code pénal. Article 222-23).

Ce serait une tragédie supplémentaire pour les victimes de faire entrer dans ce texte de loi la notion du consentement. 

Cette bonne intention défendue par nombre de féministes et qui soulève actuellement tant d’indignation est une erreur puisqu’une fois de plus, cela serait à la victime de prouver qu’elle a donné son consentement et comment le prouver ? 

La notion de consentement fait peser le fardeau de la preuve sur la victime et pas sur l’acteur. 

Et comment pouvoir donner son consentement pour un acte dont on ne connaît pas par avance son déroulement ? 

Une relation sexuelle se déroule avec des pratiques variées et on ne peut jamais présumer de ces pratiques, particulièrement si l’on ne connaît pas parfaitement son partenaire. Il faudrait donc donner son consentement après avoir listé un programme et coché les cases ? Cette idée de liste avait été envisagée sous forme d’applications qui auraient consigné et enregistré ce consentement éclairé, mais elles n’ont jamais été exploitées et heureusement, car cela revenait à contractualiser un acte sexuel et dans le cas d’un viol cette forme de contrat n’aurait même pas pu être utilisée par la justice.

Donner un consentement formalisé équivaudrait à signer un chèque en blanc pour un rapport sexuel qui pourrait se transformer en soumission sous contrainte, ce qui était une fausse bonne idée.

L’Américaine Catharine MacKinnon, une avocate et écrivaine féministe défend cette théorie en écrivant que le consentement doit bien sûr exister entre les partenaires, il doit se donner de la femme à l’homme et de l’homme à la femme, mais il ne doit pas être formalisé dans un texte de loi. Catharine MacKinnon note que la France est une exception, au sens où elle n’a jamais retenu le non-consentement comme élément du crime de viol ou d’agression sexuelle, contrairement aux juridictions anglo-saxonnes. Elle dit : «De nombreux ouvrages, comme celui de Vanessa Springora, de Neige Sinno, de Camille Kouchner, montrent que le consentement peut ne pas suffire à empêcher qu’il y ait viol. Ces livres sont à la fois le reflet d’un changement de mentalité en France, et moteurs de ce même changement en France.» Et il faut, selon elle, changer d’approche et se pencher plutôt sur les inégalités sociales qui sont instrumentalisées pour rendre le viol possible. C’est dans bon nombre de cas, la notion de pouvoir qui a débouché sur le viol, ce que l’on nomme aussi l’emprise. 

La question du consentement est aussi bien analysée par le magistrat et essayiste Denis Salas dans «Le déni du viol, essai de justice narrative» : «Car, on cède toujours, on ne consent jamais dès lors que tout consentement est pris dans un rapport de force hommes/femmes. Toute relation sexuelle devrait être de plein droit “présumée non consentie” et donc nécessairement synonyme d’acceptation forcée. La loi devrait garantir dans toute relation un consentement positif au lieu de la faire dépendre des seules manœuvres de l’agresseur.»

Revendiquer l’intégration de la notion du consentement dans notre texte de loi n’est pas un combat féministe, il ne permettrait pas aux victimes d’être plus crues ou entendues, bien au contraire ce serait un obstacle supplémentaire lors d’un éventuel procès. 

Victime et féministe j’ai acquis la certitude que de ne pas modifier notre texte de loi pour y intégrer le consentement n’est pas une aberration et ne constitue en rien une injure aux victimes, c’est accomplir l’inverse — en se pensant investi de bonnes intentions — qui le serait. 

C’est le cœur du sujet de mon roman à paraître au printemps. 

#TertiumEditions


dimanche 21 janvier 2024

L'écriture




    Lorsque j’écris un livre, je l’écris au moins trois fois.
    — Une première fois qui se passe dans ma tête et qui peut prendre à peine quelques semaines aussi bien que plusieurs années et cette phase a principalement lieu la nuit. Elle peut aussi se dérouler la journée de manière envahissante et insupportable surtout si le processus de cette première étape s’étale sur plusieurs années. Je ne me décide à écrire sur le clavier que lorsque j’ai un début, une fin, un scénario, que mes personnages sont nommés et ont une existence physique à mes côtés et que j’ai des sentiments pour eux.  
    — Une deuxième fois sur le clavier, au kilomètre, sans me relire, je laisse venir ce que j’ai en tête et qui est donc écrit virtuellement, mais qu’il faut formuler sur l’écran. Pour me repérer et ne pas faire d’anachronismes dans mon texte, j’utilise un chemin de fer. Je m’entoure de livres dans lesquels je veux relire des passages qui m’ont marquée et c’est là que le livre papier prend tout son sens, car je suis incapable de retrouver des passages dans une édition numérique, j’ai besoin de feuilleter un vrai livre. Il y a aussi sur mon bureau un gros cahier dans lequel j’écris des mots, des phrases, des réflexions, des couplets de chanson, tout ce que je glane dans la journée en lisant, en regardant la télé, en écoutant de la musique, en buvant un café au bistro. Ce cahier est un fouillis indescriptible et illisible de mots, de chiffres, de dates, de gribouillis, de croquis immondes. 



Une fois ce gros cahier bourré jusqu’à la dernière page, j’en ouvre un autre que j’inonderai du même capharnaüm. Ma seule inquiétude est de me demander ce qu’il adviendra de ces cahiers lorsque mes enfants les retrouveront. Qui comprendront-ils ? Mais quelle importance ? me dis-je, je ne suis pas Modiano ni Duras. 
    — Et la troisième fois, c’est le moment que j’aime entre tous, je réécris. Je reprends mon texte en espérant m’en être suffisamment éloignée pour être en mesure de le redécouvrir et comprendre comment je dois le réécrire selon tout ce que j’ai apporté au scénario, mais surtout en fonction de mes personnages que j’ai appris à connaître au fil de mon écriture. Il m’arrive de tomber amoureuse de certains, d’en détester d’autres encore plus fort que dans ma première phase d’écriture cérébrale et je dois alors forcer des traits ou en adoucir. Il m’arrive, mais plus rarement, de changer des prénoms.
    Ensuite, ce n’est plus de l’écriture, ce n’est que de la relecture et le passage du texte par le logiciel de correction. Et la relecture, eh bien, ça peut prendre bien plus de temps que l’écriture?! Et ça peut donner la nausée et vous faire douter de votre texte. C’est le questionnement sur une virgule, sur un retour à la ligne, sur une construction en chapitres ou pas. C’est le moment du cauchemar et de toutes les incertitudes. 
    
    Ensuite, il y a deux hypothèses : 
    — La première : je sais que ça ne va pas et que je dois me remettre devant le clavier et tout réécrire.
    — La deuxième : je suis satisfaite, je décide que c’est terminé et que je peux le soumettre à mon éditeur. Et les nuits blanches repartent aussi sec parce que je suis déjà en train de passer mes nuits à écrire le suivant. 
    
    Le manuscrit sur lequel je travaille actuellement, j’ai passé dix ans à l’écrire la nuit dans ma tête, je l’ai écrit six fois sur le clavier ; cinq manuscrits que j’ai écartés pour en arriver au sixième et me dire que cette fois, c’était la bonne. 
    Parfois ça prend un temps fou d’écrire vrai. 













dimanche 17 décembre 2023

La préface

 



Lorsque j’écris, le seul doute que je n’ai pas, c’est celui de ne pas savoir ce que je vais écrire. Mais c’est bien le seul. 

J’écris sans aucun doute, mais uniquement tant que j’écris. 

C’est lorsque j’arrive au dernier feuillet, lorsque je sais que c’est terminé, que je suis assaillie par quantité de doutes. Jusqu’à récemment, celui qui prédominait était : «?Vais-je parvenir à convaincre une maison d’édition?? » Depuis cet été, ce doute a été levé et a évolué en : «?Je ne dois pas décevoir mon éditeur?». J’ai certes franchi une marche en matière d’angoisse, mais je ne suis pas encore parvenue à lever tous mes doutes et ce sera ainsi tant que j’écrirai, la crainte de décevoir ne me lâchera pas. 

Pour mon roman qui paraîtra au printemps, j’avais dû me battre pour aller au bout de mes démons, j'avais dû me battre pour ne pas céder et que le manuscrit reste écrit tel que je voulais qu'il le soit, j’avais dû me battre pour convaincre un éditeur et quand enfin la bataille a été gagnée et que je pouvais être heureuse et remercier ceux qui avaient soutenu mon texte, quand je pouvais enfin faire la paix avec mes doutes, je suis repartie à l’assaut. 

Je venais de terminer la lecture de l’essai du juge Denis Salas, « Le déni du viol » et emportée par la justesse de son analyse, j’avais commencé par lui écrire pour lui dire combien son livre avait été important pour moi et il m’est rapidement apparu évident qu’il devait préfacer mon roman. Je ne lui ai pas demandé ainsi, je ne lui ai pas dit qu’il devait le faire, mais j’ai certainement eu à son égard une forme d’insistance comme à chaque fois que je formule un désir. Il m’avait répondu en me disant qu’il serait heureux et honoré de rédiger une préface à mon roman. Et dès le lendemain de sa réponse, le doute s’est encore une fois emparé de moi. Qu’allais-je devenir s’il ne me répondait jamais ? Chaque jour, l’inquiétude revenait m’assaillir et me dire que je n’aurais jamais dû me coller de nouveau tant de doutes en sollicitant une telle validation. Je regrettais de ne pas avoir su savourer le bonheur de septembre et d’avoir tout bousculé par une ambition qui frisait la prétention et générait de nouveau tant d’angoisse. 

Ce vendredi matin, la préface du juge Denis Salas est arrivée dans ma boite mail alors que je buvais un café sur la place Nationale. 

Et c’était lui qui m’écrivait ses doutes ! Il ne savait pas trop s’il avait bien réussi cet exercice difficile, il me demandait de lui dire si ça allait… Et ça allait tellement bien ce qu’il avait écrit pour la préface de mon roman, que j’en pleurais sur la terrasse de l’Agora devant tout le monde.

Je ne pleurais plus mes doutes ni mes douleurs, je pleurais la reconnaissance de mon texte, la reconnaissance de mon écriture et la reconnaissance pour ma maison d’édition. Tertium Editions. 


dimanche 19 novembre 2023

Zone de confort

 

Botero. La femme au miroir.

Il faut que je vous parle de «La zone de confort» puisque nous sommes chaque jour exhortés à la quitter. 

Il faut que je vous en parle pour vous dire déjà devant quelle incompréhension je me suis trouvée la première fois qu’on m’a parlé de ma zone de confort. J’ai cru que c’était une vraie zone de mon corps et donc j’ai pensé à mes fesses. C’est a priori la zone la plus confortable de mon corps, celle sur laquelle je m’assieds, celle qui est la plus voluptueuse même si j’ai des fesses assez standard, c’est aussi la zone qui procure des sensations érotiques. J’avais donc immédiatement associé mes fesses à ma zone de confort jusqu’au moment où j’ai compris que l’on me parlait d’une zone dématérialisée en me prônant qu’en sortir allait me permettre d’avancer, que ma vie commencerait quand j’en sortirai et qu’ainsi l’effrayant deviendrait ma nouvelle normalité. Un discours qui scandait : «Sors de ta zone de confort !» 

Déjà, j’ai saisi qu’on ne me parlait pas de mes fesses, mais d’une zone dont il faudrait sortir alors qu’elle est qualifiée de confortable. Je n’ai pas compris. 

Je suis allée sur internet me documenter sur cette zone de confort qu’il faut à tout prix quitter et j’ai lu : «La zone de confort se définit par un état psychologique dans lequel une personne se sent à l’aise. Si elle permet de tenir à l’écart le stress et la peur, elle ne permet cependant pas de vivre pleinement sa vie.» 

L’explication allait bien au-delà de ce que je pressentais et me disait qu’il fallait aller chercher le stress et la peur pour aller mieux. Ce serait un peu comme de me dire : «Tu as des gâteaux délicieux à ta disposition, mais mange du pain sec, ça va te faire du bien…» Ou alors plus direct «Je pourrais te prendre dans mes bras et te caresser, mais pour te faire avancer, je préfère te coller des baffes !» 

Faut vraiment être stupide pour préconiser de pareils conseils… 

Moi, je vous dis : si jamais vous l’avez trouvée, votre zone de confort, eh bien surtout restez-y ! Ne la lâchez pas et prenez-y vos aises. 

En ce qui me concerne, je ne l’ai jamais trouvée et je la cherche toujours, cette foutue zone de confort, mais le jour où je la trouve je ne la quitte plus.