Sainte Véronique, Tableau de Lorenzo Costa, 1508, Musée du Louvre |
Mes années collège sont intimement liées à la mort. Des morts souvent accidentelles, à cette époque on roulait en deux roues sans casque, sans permis, la vitesse n’était pas limitée pour les véhicules sur certaines portions de nationale que nous empruntions pour aller au collège, alors il y avait régulièrement des classes endeuillées, de jeunes élèves qui pleuraient autour de cercueils fleuris.
Il y avait aussi la maladie, mais c’était plus rare.
Deux de mes copines sont mortes la même année.
La première a eu un accident le jour de la rentrée en troisième. Ses parents avaient du fric, ils lui avaient acheté une mobylette, elle les avait peut-être tannés pour avoir une mob ? Ils lui avaient peut-être acheté comme ça… Bref, elle a eu une mob à quatorze ans pour sa rentrée en troisième et le soir du jour de la rentrée elle est passée sous les roues d’un camion à quelques mètres de chez elle. Elle est morte deux jours plus tard. Je me souviens de son enterrement, de la cérémonie qui avait eu lieu chez eux, car ils n’étaient pas catholiques et il n’y a eu que des obsèques civiles. Réunis autour de son cercueil, des bouquets de fleurs à la main, nous pleurions en nous serrant les uns contre les autres épongeant notre chagrin dans d’immenses écharpes qui trainaient au sol. Les bandanas se transformaient en mouchoirs. Tête baissée, les garçons cachaient leurs larmes sous leurs cheveux longs.
L’autre copine qui est morte, c’était l’hiver suivant. Elle, elle était malade, elle avait une leucémie. J’étais allée la voir avant qu’elle ne meure. Je ne savais pas qu’elle allait mourir, c’est elle qui me l’a dit. C’était assez surprenant. Sa mère m’avait amenée dans sa chambre, elle était couchée dans son lit, toute blanche. Je me souviens qu’il y avait dans le hall d’entrée de leur maison, un immense portrait d’elle en noir et blanc et elle m’avait demandé ce que j’en pensais. Je lui avais répondu que je le trouvais bien, c’était sincère, c’était une belle photo où elle souriait avec ses cheveux longs qui volaient autour de son visage. Elle m’avait dit qu’elle allait mourir et que c’était pour ça qu’elle me demandait pour la photo. J’ai vécu un instant absolument effrayant, elle était transcendée par l’annonce de sa mort imminente, elle me disait qu’elle allait rejoindre Dieu et qu’elle était heureuse. Elle était livide et souriait tout le temps, elle souriait aux anges. Elle est morte le surlendemain. L’église était comble, la chorale de la paroisse, ses frères et sœurs ont lu dignement des prières autour du cercueil…
Mes parents avaient trouvé cette cérémonie magnifique et grandiose. Moi j’avais préféré pour ma copine à la mobylette dans le jardin de ses parents. Ils étaient accablés de chagrin et ça m’avait semblé plus vrai.
Je repense à ces deux enterrements, deux morts tragiques qui n’ont rien en commun. Deux filles si différentes, celle de la mobylette avait déjà couché avec des garçons alors que l’autre, elle se gardait intacte pour le soir de ses noces. Quand on a la fin de l’histoire, on a le droit de trouver que c’est dommage pour celle qui s’est gardée vierge pour personne.
Je les vois tellement à l’opposé, ces deux adolescentes qui déboulent régulièrement dans mes souvenirs, l’une brulant déjà sa vie entre les garçons, les clopes et les soirées déjantées et l’autre traversant la vie comme une illuminée.
La seule chose qu’elles avaient en commun, c’est qu’elles s’appelaient toutes les deux, Véronique.
Il n’y a plus jamais eu de Véronique dans ma vie.