samedi 24 février 2024

Même si on déballe tout



 « Même si on déballe tout, on dévoile pas grand-chose. » 

C’est de Jane Birkin et je le reprends à mon compte, car je l’ai déjà dit, mais avec bien moins de grâce, un jour où une lectrice me disait à propos du livre où je témoigne des adoptions illégales au Sri Lanka : «?Maintenant, je connais tout de vous ! » en lui rétorquant : « Comment pouvez-vous donc prétendre savoir tout de moi ? » 

J’avais mis fin plutôt sèchement à la conversation, car j’étais à court d’arguments pour lui expliquer que je ne voulais pas être réduite au personnage féminin que j’incarnais dans ce livre qui n’était pourtant pas une fiction. Au moment où avait eu lieu cette rencontre avec cette lectrice qui semblait tellement heureuse de s’assoir à côté d’une auteure dont elle savait tout, j’étais en train d’écrire le roman « Sa vie ressemblait à un orage » qui au fil de l’écriture prenait malgré moi la forme d’une autofiction. Une autofiction c’est ce genre littéraire que j’aime tellement en tant que lectrice aussi et qui mêle la fiction et l’autobiographie. Partir de faits réels et s’engager dans l’imaginaire pour revenir au réel et ainsi de suite, c’est complètement enivrant pour un écrivain parce que c’est d’une liberté sans égal. C’est une perpétuelle promenade entre nos secrets les plus enfouis et notre imagination la plus débridée avec le sentiment grisant que le lecteur va s’y engager sans faire le tri. Dans son roman « De là, on voit la mer » Philippe Besson l’aborde avec brio par la voix de son personnage principal, Louise, une écrivaine dont il écrit : « Elle s’apprête à retourner écrire. À renouer avec la folie d’inventer des mensonges en espérant que les gens y croiront. » Il écrit aussi à propos de Louise : « C’est cette histoire qu’elle raconte. Pourquoi, elle n’en sait rien. Car elle ne sait pas du tout d’où viennent les histoires, comment elles adviennent. […], et puis un déclic se produit, un accident et l’histoire s’impose, il ne reste plus qu’à l’écrire. » 

D’autres écrivains et écrivaines comme Olivier Adam, Hervé Guibert, Cyril Collard, Camille Laurens, Christine Angot, Virginie Despentes, Amélie Nothomb et tant d’autres nous parlent de leurs vies et de leurs chagrins en écrivant des autofictions qu’il serait naïf de lire en cherchant à démêler le vrai du faux puisque tout est vrai, mais qu’il a fallu en passer comme le dit Louise, par une histoire qui s’est imposée, une histoire sans frontière entre le réel et l’imaginaire. 

Lorsque j’écris, je suis Louise, celle pour qui l’écriture justifie l’égoïsme, celle qui passe du réel à l’imaginaire pour parvenir à écrire la vérité. Et même si je déballe tout, je sais que je ne dévoile pas grand-chose. 

Savoir tout de moi n’intéresse pas le lecteur.  
C’est de lui qu’il cherche à savoir. 


samedi 10 février 2024

Le consentement et la loi

 


Cette notion de consentement que l’on veut intégrer dans le texte de la loi définissant le viol fait partie de ces arguments que l’on défend en toute bonne foi parce qu’ils nous semblent justes alors que si l’on prend l’avis des victimes, il apparait rapidement que c’est une très mauvaise idée.  

Notre texte de loi définit ainsi un viol : «Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.» (Code pénal. Article 222-23).

Ce serait une tragédie supplémentaire pour les victimes de faire entrer dans ce texte de loi la notion du consentement. 

Cette bonne intention défendue par nombre de féministes et qui soulève actuellement tant d’indignation est une erreur puisqu’une fois de plus, cela serait à la victime de prouver qu’elle a donné son consentement et comment le prouver ? 

La notion de consentement fait peser le fardeau de la preuve sur la victime et pas sur l’acteur. 

Et comment pouvoir donner son consentement pour un acte dont on ne connaît pas par avance son déroulement ? 

Une relation sexuelle se déroule avec des pratiques variées et on ne peut jamais présumer de ces pratiques, particulièrement si l’on ne connaît pas parfaitement son partenaire. Il faudrait donc donner son consentement après avoir listé un programme et coché les cases ? Cette idée de liste avait été envisagée sous forme d’applications qui auraient consigné et enregistré ce consentement éclairé, mais elles n’ont jamais été exploitées et heureusement, car cela revenait à contractualiser un acte sexuel et dans le cas d’un viol cette forme de contrat n’aurait même pas pu être utilisée par la justice.

Donner un consentement formalisé équivaudrait à signer un chèque en blanc pour un rapport sexuel qui pourrait se transformer en soumission sous contrainte, ce qui était une fausse bonne idée.

L’Américaine Catharine MacKinnon, une avocate et écrivaine féministe défend cette théorie en écrivant que le consentement doit bien sûr exister entre les partenaires, il doit se donner de la femme à l’homme et de l’homme à la femme, mais il ne doit pas être formalisé dans un texte de loi. Catharine MacKinnon note que la France est une exception, au sens où elle n’a jamais retenu le non-consentement comme élément du crime de viol ou d’agression sexuelle, contrairement aux juridictions anglo-saxonnes. Elle dit : «De nombreux ouvrages, comme celui de Vanessa Springora, de Neige Sinno, de Camille Kouchner, montrent que le consentement peut ne pas suffire à empêcher qu’il y ait viol. Ces livres sont à la fois le reflet d’un changement de mentalité en France, et moteurs de ce même changement en France.» Et il faut, selon elle, changer d’approche et se pencher plutôt sur les inégalités sociales qui sont instrumentalisées pour rendre le viol possible. C’est dans bon nombre de cas, la notion de pouvoir qui a débouché sur le viol, ce que l’on nomme aussi l’emprise. 

La question du consentement est aussi bien analysée par le magistrat et essayiste Denis Salas dans «Le déni du viol, essai de justice narrative» : «Car, on cède toujours, on ne consent jamais dès lors que tout consentement est pris dans un rapport de force hommes/femmes. Toute relation sexuelle devrait être de plein droit “présumée non consentie” et donc nécessairement synonyme d’acceptation forcée. La loi devrait garantir dans toute relation un consentement positif au lieu de la faire dépendre des seules manœuvres de l’agresseur.»

Revendiquer l’intégration de la notion du consentement dans notre texte de loi n’est pas un combat féministe, il ne permettrait pas aux victimes d’être plus crues ou entendues, bien au contraire ce serait un obstacle supplémentaire lors d’un éventuel procès. 

Victime et féministe j’ai acquis la certitude que de ne pas modifier notre texte de loi pour y intégrer le consentement n’est pas une aberration et ne constitue en rien une injure aux victimes, c’est accomplir l’inverse — en se pensant investi de bonnes intentions — qui le serait. 

C’est le cœur du sujet de mon roman à paraître au printemps. 

#TertiumEditions