Cet automne nous avions le projet d’aller passer un week-end en Provence et puis ce projet a été repoussé à plusieurs reprises du fait de rendez-vous avec des journalistes ou des attaques du Covid.
Nous avons deux amis en Provence, chacun sur une rive du Rhône et c’est à eux que nous rendons visite.
La première amie c’est Valérie, mon amie anglaise, la femme d’un ami de Jean-Noël qui s’appelait lui aussi Jean-Noël et qui était peintre. Nous l’avons enterré il y a déjà longtemps et Valérie vit seule du côté de Pont-Saint-Esprit. On aime se souvenir que lorsque nous parlions de nos maris, on disait, Jean-Noël le tien, Jean-Noël le mien.
L’autre ami, c’est un écrivain, il vit au pied du mont Ventoux et appelons-le Augustin. C’est souvent ainsi qu’il se nomme dans ses romans.
Après la promo de mon livre, après le covid pour Augustin et un covid qui ne portait pas son nom pour moi, nous sommes enfin parvenus à trouver une date pour notre week-end provençal.
Il fallait de nouveau réserver un hôtel et Jean-Noël se met devant Booking et je le sens qui hésite. Il me dit, je crois que j’ai trouvé mieux qu’un banal Kyriad, il y a dans le centre d’Orange un superbe hôtel que Booking me propose à un tarif préférentiel, le fameux tarif Genius réservé aux bons clients, ceux que Booking appelle ses membres comme si nous faisions partie de la secte Booking. Jno me montre les photos de l’hôtel en tournant l’écran de son mac vers moi. C’est tout simplement superbe, une architecture art nouveau, de grandes chambres et surtout un tarif qui rentre dans notre petit budget. Je lui dis, ça me plait énormément et en plus on sera raccord avec la maison d’Augustin qui est art nouveau elle aussi ! Réserve vite les deux nuits. Et je le laisse continuer la réservation, il râle un peu en me disant, tout est en anglais, c’est énervant. Mais l’anglais n’est plus un obstacle pour lui, alors il boucle la réservation en me précisant que c’est même une réservation annulable jusqu’à samedi 18 h. Et on n’y pense plus. La réservation pour Orange est dans l’apli, on va passer deux nuits dans un super hôtel, on est membre Genius, on serait presque redevenus heureux.
Le petit truc auquel je repense le lendemain, c’est que j’ai promis à Augustin d’apporter un poulet pour le déjeuner. Il m’avait précisé qu’il fallait que le poulet soit cuit, mais je lui avais fait remarquer que je n’avais pas envisagé d’arriver à 13 h avec un poulet cru. Je dis à Jno qu’il serait prudent de regarder où il y a des rôtisseries dans le centre d’Orange pour que le samedi soir nous passions retenir le poulet grillé du dimanche midi. Jno se met sur google maps et me dit, il y a deux rôtisseries dans le centre d’Orange, ça ne sera pas compliqué. Comme je suis selon ses dires, une obsédée de la précision, une emmerdeuse pour faire simple, je me penche sur son écran et lui demande à quelle distance les deux rôtisseries se situent par rapport à notre hôtel (c’est déjà le nôtre, je devrais plutôt écrire, encore) pour choisir celle qui me semble la plus proche. Il me répond, c’est dans le centre, comme l’hôtel, ça ne peut pas être loin, mais j’insiste pour qu’il me montre très précisément en passant par la fonction itinéraire de Google maps. Ma requête l’énerve un peu, je le sens, mais il rentre le nom de notre hôtel et nous voyons soudain la carte du centre-ville d’Orange rétrécir à toute vitesse pour inscrire un trajet dont le point final se trouve en Australie. Nous nous penchons sur l’écran, totalement incrédules, et lisons Orange sur ce point austral si l’on peut dire et que l’on peut vraiment qualifier ainsi, car Orange sur lequel Google maps a mis un repère rouge se situe tout au sud de l’Australie. Après un petit moment de silence et une deuxième vérification, nous comprenons que le superbe hôtel que nous avons réservé est en Australie. C’est incontestable, les preuves s’étalent devant nous, surtout quand je montre à Jno le plan du centre-ville et lui demande si ça ne l’avait pas dérangé qu’il y ait un immense lac au centre-ville d’Orange et qu’en plus ce lac s’appelle Suma Park Reservoir. Il me dit, pas du tout, Orange est une ville romaine, il peut bien y avoir des bains…
Ça nous colle un fou rire. On se dit que c’est le poulet grillé d’Augustin qui nous a sauvés et sans doute aussi un peu mon souci de tout programmer et de tout scénariser pour me rassurer. On se met à s’imaginer arrivant samedi soir à Orange en France dans le Vaucluse et cherchant le Royal Hotel au centre-ville. On aurait mis le GPS et on se serait surement engueulés… Ça nous fait quand même rire.
Orange avait déjà pris une place prépondérante dans notre vie sans connexion wifi, on pense déjà à eux chaque fois qu’il faut allumer la télé et jongler avec l’ordi et le boitier 4G et supporter que le film que l’on regarde se bloque trois minutes avant le dénouement, il ne faudrait pas qu’en plus, Orange vienne gâcher notre week-end. J’en profite pour écrire que personne surtout ne vienne me suggérer que c’est mieux de vivre sans télé et sans internet, je mets quiconque au défi de mener sa vie sans être connecté même si l’absence totale de connexion nous aurait permis de ne pas réserver un hôtel à Orange dans l’hémisphère sud.
Cet après-midi nous devons retourner nous occuper d’Orange, l’autre, celui sans kangourous, sans fibre, sans rien.