Quand un livre est publié, il se met en route une machine qui vous échappe.
Dans cette machine qui se met en route, il y a comme toujours les moments agréables et ceux qui le sont moins. J’aimerais ne vous parler que des moments agréables, comme celui d’être reçue dans sa librairie telle une personne faisant partie de la famille ou celui d’avoir un gentil attaché de presse qui vous dit, ne vous inquiétez pas, je m’occupe de tout et on va bien travailler ensemble.
Mais pour travailler ensemble, il faut quand même que je lui fournisse de la matière, lire mon livre ne suffit pas pour organiser sa promotion.
Hier matin, il m’a annoncé : « Il me faut des photos. » Je réalise que les photos que je ressors à chaque occasion ont plusieurs années et que je ne peux pas les recycler éternellement. Énorme angoisse, je suis arrivée à un âge où faire des photos fait très peur. Cela me fait d’autant plus peur que, depuis l’âge de quinze ans j’ai posé pour les photographes, et ce, durant des décennies sans me poser aucune question, sans même vérifier. Aujourd’hui, je veux non seulement vérifier, mais contrôler.
Je n’ai plus le courage de me mettre devant un objectif et surtout de voir le résultat.
Alexandre, mon ami photographe, est en vacances, il va falloir compter sans lui, il va falloir compter uniquement sur Simon, c’est à dire surtout sur moi et notre capacité à ne pas nous engueuler.
Simon ne sait utiliser que son iPhone et prétend que, depuis que je suis passée de Canon à Fuji, il est incapable de prendre une photo avec mon appareil photo. Mais il m’a promis : « On va le faire, on va y arriver si tu me prépares tout. »
Nous avons donc tout préparé, le grand fond noir qui est très facile à placer sur de grosses tringles de placards qui font face à deux grandes fenêtres qui procurent une jolie lumière en fin d’après-midi. L’installation du studio a été assez facile, c’était à notre portée.
Dans son rôle d’assistant presse-bouton, Simon est parvenu à monter le trépied tout seul, je n’ai plus eu qu’à y fixer mon boîtier.
Tout était prêt pour la prise de vues, il ne manquait que le sujet.
Le sujet déjà un peu fatigué par sa journée et par anticipation de ce qui l’attendait est passé à la salle de bain pour se regarder dans le miroir et évaluer l’amplitude des dégâts et les améliorations envisageables. Mise en œuvre rapide des améliorations, mise en condition psychologique pour se dire qu’on est arrivé au maximum des améliorations et que ce qui n’a pas passé le cap est dû au bonus de la vieillesse.
La sagesse, ils disent.
Le sujet s’en persuade avant de ressortir de la salle de bain et de se présenter face à l’objectif.
Avant de me présenter à mon assistant presse-bouton, j’avais enfilé une tenue neutre pour éviter de renouveler la bourde de la robe qui boudine lors de la dernière prise de vue pourtant réalisée par un professionnel.
J’ai commencé par placer mon assistant dans le rôle du sujet, sur l’escabeau dos au fond noir, afin de régler la focale, la hauteur du cadrage et prendre une photo en exemple pour lui montrer ce que j’attendais de lui.
À mon tour, je me suis assise sur l’escabeau, il m’a regardée et m’a demandé si je ne crevais pas de chaud avec mon pull en pur cachemire et mes épais collants en plein mois d’août. J’ai dit si, mais c’est ce que j’ai de mieux en noir. Je voulais être noir sur noir, nous avions déjà réalisé ce type de photos, et j’aime leur rendu.
On a commencé.
J’ai dû expliquer à mon assistant qu’on ne pressait pas un déclencheur comme une brute, et que, même si le boîtier était monté sur un trépied, on passait délicatement sa main sous le boîtier quand on déclenchait.
Les premiers résultats sont décevants, j’ai plein de reflets mordorés dans mes verres de lunettes. Je décide alors de faire les photos sans lunettes, mais ça ne va pas non plus, ce n’est plus vraiment moi et ça me donne une tête de vieille vraiment vieille.
Je ne comprends pas pourquoi, quand j’ai fait les essais avec Simon, il n’y a pas eu de reflets dans ses verres alors qu’il était placé exactement au même endroit que moi et que j’ai payé mes verres aussi cher que les siens. Simon trouve une explication qui semble plausible, même si nous n’en avons pas la preuve scientifique, il m’explique que nous n’avons pas du tout la même correction. Lui, depuis son opération, a une correction de rien du tout alors que moi, j’ai des verres plus épais et sans doute une courbure qui perturbe la lumière.
Qu’à cela ne tienne, puisque ses verres ne provoquent pas de reflets perturbants, je vais mettre ses lunettes pour les photos.
Nous portons des montures rondes assez similaires et personne n’y verra que du feu, surtout moi qui n’y vois maintenant plus rien face à l’objectif et fais confiance les yeux fermés à mon assistant appliqué et concentré.
Je reconnais que le coup de l’échange des lunettes, même un pro ne l’aurait pas osé.
Au bout d’une heure de prise de vues, je suis satisfaite de ce que je vois sur l’écran de l’appareil de photo et j’annonce à mon assistant que je le libère. Je suis surtout pressée d’enlever mon pull en pur cachemire et mes collants d’hiver.
Verdict final devant l’écran de mon mac, ça va.
Ça ira encore pour cette fois.