samedi 5 octobre 2019

La boulangère de Montauban





Je suis difficile pour le pain, Jno dit que c’est pas que pour le pain mais qu’il est quand même d’accord avec moi pour dire que c’est super difficile de trouver une bonne boulangerie, mais que comme c’est lui qui va acheter le pain tous les matins, il le prend un peu pour son compte quand je chipote qu’il n’est pas bon mais il ne le trouve pas bon lui aussi.
Il y a quelques semaines, des copains nous ont dit qu’à Montauban il y avait une très bonne boulangerie-pâtisserie, pas aussi bonne en pâtisserie que la réputée du centre-ville mais quand même bonne et que pour le pain ils étaient excellents. Montauban, c’est à une demi-heure de chez nous, un peu loin pour notre pain quotidien et il n’y a que dans Les tontons flingueurs qu'on ne quitte pas Montauban mais le samedi matin on vient justement à Montauban pour le grand marché des producteurs et on se dit qu’on peut essayer cette boulangerie pour avoir du bon pain une fois dans la semaine.
Le premier samedi où nous sommes entrés dans la boulangerie recommandée par nos copains, nous avons expliqué que nous ne savions pas quel pain nous voulions mais que nous venions chez eux pour acheter du bon pain. C’est tout. La boulangère nous a questionnés sur nos habitudes, nos goûts et nous nous sommes décidés pour "un bucheron", une grosse miche qui se garde bien nous dit-elle. Et puis se saisissant d’une baguette qu’elle coupe en deux, elle nous la tend en disant, vous gouterez  celle-ci et vous me direz si vous l’aimez aussi.
Et on a tout aimé.
Le samedi suivant, nous sommes passés lui acheter "le bucheron", et cette fois-ci elle nous a glissé un petit sac dans lequel elle avait mis des financiers. Pour qu’on goute, dit-elle.
Ce matin, je suis entrée dans la boulangerie en lui disant, bonjour, voilà vos clients du samedi ! Et elle nous sert "le bucheron" habituel. Jno me dit, prends des gâteaux pour le goûter et je choisis deux tartelettes pendant qu’il lorgne sur un petit saint Genix. Les Lyonnais et les Rhônalpains  connaissent cette brioche aux pralines rouges qu’on ne trouve qu’à Lyon et dans sa banlieue et qui est inconnue dans le sud-ouest. C’est vraiment une surprise de voir un Saint Genix à Montauban, déjà rien que de le voir, ça illumine notre journée et on achète le Saint Genix pour nos goûters de la semaine. La boulangère continue à discuter avec nous et Jno lui raconte qu’il est Grenoblois, et elle nous dit qu’elle aussi n’est pas d’ici, qu’elle vient du nord et que son mari est Picard et ça commence à faire beaucoup de points communs. À son poignet gauche cinq joncs en or, au mien il n’y en a que quatre mais nos deux poignets semblent en miroir. Jno lui dit que je n’en ai que quatre car il m’en offre un par dizaine d’années de mariage et que j’en aurai cinq moi aussi dans pas très longtemps. Elle semble surprise par notre longévité et nous raconte l’histoire des joncs de ses poignets en emballant nos achats. Et puis elle choisit deux autres petites brioches au sucre qu’elle met dans un sac en papier. Elle se retourne ensuite vers ses étagères de pain en nous demandant si on aime le fromage et nous choisit une baguette aux raisins qu’elle emballe aussi dans un sac. Et maintenant, alors qu'il y a une montagne de pains et de brioches emballés sur le comptoir, elle part dans l’arrière-boutique et revient avec un immense sac en papier kraft dans lequel elle place nos achats et ses cadeaux. Elle colle le sac dans les mains de Jno et nous ne savons plus quoi dire. 
Je lui bredouille un merci beaucoup et lui dit que samedi prochain elle ne nous verra pas car nous serons à Grenoble, je lui dis ça un peu comme si elle nous connaissait déjà suffisamment pour s’inquiéter de ne pas nous voir. Je sens bien que c’est un peu ridicule de lui dire mais c’est trop  tard, je l’ai dit toute émue par ce sac de cadeaux et de bienveillance.
Et je lui dis, au revoir madame, à dans quinze jours.
Elle me répond, Christine, je m’appelle Christine.
Je suis prête à fondre en larmes dans la voiture et une fois le gros sac de papier kraft posé sur le siège arrière, je dis à Jno, tu crois que ça se voit à ce point que nous sommes tristes ?
Il me dit, oui peut-être mais il ne faut pas te poser la question de cette manière-là, c’est simplement qu’il y a encore des gens qui sont extrêmement gentils.