dimanche 21 juillet 2019

Insomnies créatives




Mercredi dernier des amis sont venus diner chez nous et m’ont apporté un bouquet de fleurs.
On pourrait en rester à cette phrase qui ne fait ni un billet de blog ni un statut Facebook puisque c’est très gentil comme attention mais tout le monde s’en fout, sauf moi qui ai eu un bouquet de fleurs et que même si chacun raconte l’intime de sa vie sur les réseaux sociaux, Véro et son bouquet de fleurs, ce n’est pas la robe de Pipa Middleton ou les homards de De Rugy.
Sauf que dès que l’on m’offre un cadeau, je fais du chemin dans ma tête la nuit quand je ne dors déjà plus et que je m’efforce d’embarquer mon cerveau vers des rives artistiques pour l’empêcher de me faire pleurer. Et si le cadeau est un bouquet de fleurs, je cherche comment je vais pouvoir le faire sortir de son vase au moins pour un après-midi, comme l’on rêve d’ouvrir la cage aux oiseaux. Le gros avantage avec des fleurs, c’est qu’on est certain qu’elles ne s’envoleront pas et ça enlève déjà ce stress-là, on les pose et on les récupère, ça vous chie pas dessus non plus, enfin ça, c’est l’autre partie de l’histoire parce que quand même un peu.
Au bout de la deuxième nuit d’insomnie j’avais trouvé mon idée, le bouquet était celui de ma série de femmes blues que j’ai peintes  l’année dernière et j’allais faire une femme blues en photo et comme je n’ai pas de femme sous la main, j’allais incarner la femme blues.
J’ai mis toute une journée à oser en parler à Jno car il me fallait son aide. J’avais essayé de bâtir un plan en solo mais c’était vraiment compliqué de tout faire au retardateur surtout que je n’ai plus de trépied photo et qu’il fallait trouver aussi une idée pour tendre mon fond noir. Finalement je me suis lancée à lui exposer mon projet et contre toute attente il m’a suivie sans hésiter et a eu l’idée de tendre le tissus noir sur une étagère métallique que nous avions à la cave.
Tout le début de l’après-midi s’est passé en bricolage car il a fallu monter l’étagère deux fois, en premier de la  cave et la monter ensuite avec des boulons et des écrous, tout nettoyer et puis repasser le tissus pour enlever le moindre pli qui accrochait la lumière et le tendre sur l’étagère. Cette installation ingénieuse offre l’avantage d’être légère et mobile.
J’ai fait quelques essais en plaçant Jno devant le fond et en éclairant avec la lumière naturelle venue par la fenêtre et ça collait pas mal avec ce que je cherchais.
Ensuite je me suis occupée de moi un peu angoissée car je n’ai plus l’âge de l’époque où je posais pour les photographes … J’ai maquillé mes yeux et me suis faite une bouche rouge torride du rouge des anthuriums, j’ai enfilé un pull en laine noir malgré la chaleur torride elle aussi et bien plus que ma bouche, c’était le seul vêtement qui correspondait au visuel que j’avais construit pendant mes insomnies.
Et nous avons démarré la prise de vue qui reste le moment tendu où l’on risque de s’engueuler vu que Jno n’a toujours pas compris comment fonctionnait un appareil photo et qu’il faut le surveiller pour qu’il ne dérègle pas tout en baladant ses doigts sur le boitier. Sa collaboration technique doit se limiter à appuyer sur le déclencheur, auparavant je dois avoir tout vérifié et j’hésite même  à lui tracer une ligne au sol comme à la pétanque.
Hier tout s’est bien passé car je crois qu’il a immédiatement compris mon angle alors que je ne lui avais rien dit de mon projet, je préfère souvent ne pas trop dévoiler mon idée pour garder ma liberté jusqu’au dernier moment. J’avais aussi eu cette stratégie sur le plateau de France 2 avec Élise Lucet, personne ne savait vraiment ce que j’allais dire, je trouve beaucoup plus fort de surprendre son entourage car cela permet de se surprendre soi-même et de créer de l’émotion.
Jno me prenait en photo, je posais, je tournais le bouquet, je l’agitais dans mes cheveux, je le mettais dans mes bras, je pensais à mes femmes blues, je pensais à ma petite femme blues.
Lorsque j’ai trié mes photos sur l’écran, j’ai rapidement été satisfaite du résultat, nous étions arrivés au projet de mes nuits d’insomnie.
Une seule chose inexplicable et inexpliquée, un énorme reflet jaune sur tout le devant de mes cheveux et qui était irrécupérable malgré Photoshop et Lightroom réunis (oui, je paie les deux licences, alors je suis contente de les citer). J’incrimine une lampe qui est restée allumée mais en refaisant une prise de vue, j’ai toujours des cheveux très jaunes autour du visage. Je suis assez contrariée car je fais une fixation sur le blanc platine de mes cheveux et pour ceux qui imaginent que je n’y fais rien, je leur fais absolument tout, sauf une coloration.
Je n’arrive pas à comprendre ce qui a créé ce reflet et je me résous à appliquer un filtre qui efface le coté pisseux de ma chevelure.
Fin d’après-midi, je vais me rafraichir à la salle de bain car le pull de laine à manches longues était une épreuve bien transpirante même si je vous rassure, je l’avais enlevé dès la fin de la prise de vue. Je me regarde dans le grand miroir et là, stupeur et aussi tremblements, je me vois exactement comme sur l’écran de mon Macbook Pro (je cite toujours car je ne l’ai pas volé) : J’ai les cheveux jaunes !
Ce n’est même pas un reflet, c’est carrément une coloration jaune sur toute la bordure de mon visage et c’est en vrai. Pour vérifier, je me précipite vers Jno, regarde mes cheveux,  ils sont jaunes ou pas ? Ah oui, il me dit, ils sont tout jaunes !!!!!!!
Long moment de solitude où j’imagine qu’un sort m’a été jeté et qu’il va falloir couper mes cheveux surtout ceux autour du visage et je prie pour que la coupe mulet revienne vite à la mode … Je cherche quel est l’intervenant matériel qui a pu colorer mes cheveux et soudain je comprends que c’est le pollen des lys du bouquet que j’ai baladé sur mon visage qui s’est accroché sur mes cheveux et les a colorés. Je me souviens que ce pollen est un puissant colorant …
Je me suis lavée les cheveux et j’ai récupéré mon blanc platine.
Dans mes nuits insomniaques de projets artistiques, j’avais tout balisé, tout prévu, sauf le pollen des lys.

Je n'ai plus pensé à dire (mais c'est mieux de préciser pour mes quatre fidèles abonnés) que tout était vrai et que toute ressemblance avec les personnages cités n'est pas fortuite mais voulue, que Jno, c'est Jno, et que moi, c'est moi.