Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n'est hélas pas fortuite.
Samedi, fin de vernissage, les cacahouètes s’éparpillent sur
les nappes en papier, les chips crissent sous mes escarpins rouges et je m’essuie
les doigts collants de pizza sur un bout de serviette en papier posée sur une
table de l’apéritif annoncé au micro comme un banquet. Jno me dit, le sens des
mots se perd et c’est ainsi que nous nous perdons, tu reprendras bien une chips
ma chérie, profitons de ce banquet.
Rien n’était vraiment à la hauteur, ni le banquet et surtout
pas les œuvres, il n’y a qu’une série de jolies sculptures aux visages asiatiques
qui ont attiré mon regard et mon intérêt, le reste n’était que des redites de
ce qu’on l’on peut voir des dizaines de fois, des morceaux de bravoure, des
mauvais faux Picasso ou des hommages éternellement daliniens.
Elle est arrivée face à moi sans que j’aie senti sa présence
et avec une euphorie que je ressens toujours accentuée par l’accent d’ici, elle
me dit, je suis contente de vous voir ce soir, je ne pensais pas vous
rencontrer à ce vernissage. Son enthousiasme a quelque chose de débordant et je
me demande comment je vais lui répondre, je n’ai que du rien à raconter ces
derniers temps, un rien qui est pour moi aussi débordant mais qui se traduit dans
les faits par un rien, un grand vide.
Elle m’accroche par le bras et me dit, Sarah est morte.
Je sens que je m’enfonce dans le sol, je me dis, Sarah est morte et je me répète, Sarah est morte. Je crois que je lui dis, ah bon ? Mais je crois seulement que je n’ai rien dit et que je l’ai regardée en me demandant comment elle faisait pour me dire cela avec une telle force et en restant droite.
Je sens que je m’enfonce dans le sol, je me dis, Sarah est morte et je me répète, Sarah est morte. Je crois que je lui dis, ah bon ? Mais je crois seulement que je n’ai rien dit et que je l’ai regardée en me demandant comment elle faisait pour me dire cela avec une telle force et en restant droite.
Et elle semble soulagée de me l’avoir dit.
Je me mets à parler en me tenant à son bras, il faut parler d’elle, dites-moi ce qui s’est passé et ce qui est arrivé à Sarah. Parlez-moi de votre fille, de celle qui était toujours avec vous, celle qui n’était pas une enfant comme les autres parce qu’elle était trisomique, celle que vous chérissiez votre mari et vous.
Je me mets à parler en me tenant à son bras, il faut parler d’elle, dites-moi ce qui s’est passé et ce qui est arrivé à Sarah. Parlez-moi de votre fille, de celle qui était toujours avec vous, celle qui n’était pas une enfant comme les autres parce qu’elle était trisomique, celle que vous chérissiez votre mari et vous.
Alors elle me parle de sa fille et de sa mort très rapide en
septembre dernier et elle me dit, elle nous manque tellement, elle était tout
le temps avec nous. Maintenant nous ne sommes plus que nous deux, ce n’est pas
aux parents d’enterrer leurs enfants, ce n’est pas l’ordre.
Je lui parle de Sarah qui venait toujours sauter à mon cou quand
nous exposions les week-end sur les quais de Garonne. Elle me dit, elle vous
aimait beaucoup.
Je me souviens de Sarah qui voulait faire comme son père et
qui sous ses conseils peignait et dessinait de petites œuvres. Un jour, elle
les avait exposées à côté de celles de son papa Albert et la consécration est
arrivée quand un client intéressé lui avait acheté un tableau. C’était une « consécration »
car ce jour-là, Sarah s’est sentie déesse, elle était allée voir tous les
artistes pour dire qu’elle avait vendu un de ses tableaux et sur les quais de
Garonne, nous avions fêté sa première vente.
Je me souviens et je l’écoute me parler de sa fille.
Je me souviens et je l’écoute me parler de sa fille.
Je lui dis qu’il faut parler des morts pour ne pas les faire
mourir une deuxième fois, je lui dis que je parlerai de Sarah et que je sais
que je ne lui fais pas de douleur supplémentaire en lui parlant de sa fille
morte.
Elle me dit, non ça ne me fait pas de peine de parler de
Sarah, ce qui me fait une douleur, c’est de devoir l’annoncer, de devoir le
dire.
Je suis allée m’effondrer sur un banc de pierre et je les ai
vus repartir, lui l’homme grand et imposant, le père brisé par la douleur à qui
je n’ai su dire ma compassion qu’en mettant ma main sur son bras pour croiser
son regard perdu et elle, petite silhouette si forte et déterminée qui se tient
aux côtés de celui avec lequel ils ne feront plus jamais trois.
Elle qui a su décrire sa douleur insupportable en une courte phrase de neuf mots : Ce qui est dur c’est de le dire.
Elle qui a su décrire sa douleur insupportable en une courte phrase de neuf mots : Ce qui est dur c’est de le dire.