Autoportrait pour une nuit noire. |
Pourquoi je peins ?
C’est le billet que Pierre Debroucker allias Masmoulin (j’aime bien le citer
par son nom qui sent les pavés, les frites et les chansons de Brel) a posté
hier sur son blog qui a ouvert les vannes de ce que je rumine depuis longtemps.
Pierre a eu un certain courage en titrant son billet : « Comment l’aquarelle évolue-t-elle ? Vers l’Art
ou vers le loisir récréatif ? », car il va en froisser plus d’un avec
une question pareille qui à mon avis est plutôt un triste constat qu’une
question. J’avoue que je n’aurais pas eu ce courage mais que j’attendais que
quelqu’un pose cette question qui me taraude depuis très longtemps.
Pierre reconnaît aussi que sa question est clivante, moi j’aurais dit qu’elle
est sans nuance.
Il ne s’agit en rien de juger ceux qui peignent par loisir et je suis moi-même
étonnée par le degré de technicité que certains ont acquis au fil de la
pratique de ce medium qui est difficile. Une amie artiste m’a dit un jour et je
m’en souviens pour toujours que l’aquarelle est tellement difficile à pratiquer
que l’on y rencontre plus de très bons artisans que de réels artistes créatifs.
Il me revient aussi ce qu’un photographe (je ne sais plus lequel …) disait à propos de la photo, qu’il vaut mieux
une image émouvante avec quelques erreurs techniques qu’une image parfaite
sans émotion.
Ces réflexions ne m’autorisent pas à jeter l’opprobre sur les aquarellistes qui
sont de parfaits techniciens et ceux qui aspirent à le devenir en travaillant
et en retirant le plaisir qu’on a à
pratiquer un loisir récréatif. Je le précise car je sais combien tout est
interprété et mon idée dans ce billet n’est pas d’être blessante ou méprisante.
Ce matin, j’en reparle à Jno en lisant les quelques commentaires qui sont
apparus sur les réseaux sociaux, commentaires approbateurs ou embarrassés,
commentaires qui apparaissent et s’évanouissent aussi rapidement, je lui en
reparle donc car je ne sais comment il faut parler de ce monde particulier de l’aquarelle
et je pense que son regard extérieur qui est souvent un regard de témoin candide
peut m’aider à comprendre.
Sa réponse tombe simplement et spontanément, il me dit :
- Il suffit de poser la
question aux gens : Pourquoi peignez-vous ? Leur réponse parlera d’elle-même.
Et il ajoute :
- Et toi, pourquoi tu peins ?
Alors je lui ai répondu.
Au début dans ce que je vais appeler la première étape, j’ai peint pour apprendre, pour m’amuser à
faire des choses jolies avec des belles couleurs et cela me plaisait et me
faisait du bien. J’aimais aussi que les autres me disent que ça leur plaisait. Durant
toutes ces premières années la peinture ne m’est jamais apparue comme une
nécessité, c’était une période de loisirs artistiques où je m’efforçais de
pratiquer et de me procurer le plaisir du travail bien accompli. J’avançais sur
un sentier facile.
Et il y a eu ce moment où mes sensations ont commencé à changer, ce jour où j’ai
décidé que je ne peindrais plus que ce que je voulais en me moquant totalement
de ce que les autres attendaient de moi. Cette première décision a été la deuxième
étape, celle où je n’attendais plus le regard des autres, où je ne faisais pas
forcément ce que l’autre aimait et recherchait chez moi et dans ma peinture.
Cette deuxième étape a été décisive car je n’étais plus que face à moi-même et
je n’avais plus qu’un seul objectif : me plaire à moi-même.
À ce moment-là, j’aurais répondu à
la question « Et toi, pourquoi tu peins ? » par :- Je peins pour
moi et rien que pour moi.
Grâce à cet égocentrisme dont on peut penser ce qu’on veut et je m’en fous puisque j’avais décidé de ne
peindre que pour moi et de soigner mon ego en toute conscience, j’ai
énormément avancé dans mon parcours. On pouvait bien me dire que l’on
regrettait que je ne peigne plus de fleurs (même si j’en peins toujours), que
mes Indiennes ne ressemblent pas à de vraies Indiennes, que j’étais obsédée par
l’Inde et devrait m’en sortir, que je devais mettre autre chose que de l’aquarelle
dans mes aquarelles pour qu’elles soient si denses en couleurs … Tout cela me
passait au-dessus de la tignasse, je persistais à peindre pour moi.
Et puis il y a eu ce jour où j’ai laissé tomber ce «moi», ce jour où j’ai dit à
celle qui était dans le prolongement de ma main que son jugement elle pouvait se
le carrer où je pense et que mon Moi profond allait continuer à peindre sans
écouter ce qu’elle me disait de peindre et de penser, que mon véritable moi
allait peindre sans le jugement de celle qui voulait me diriger. C’est là que j’ai
eu très peur de ce que ma main faisait sans attendre l’approbation du moi
égocentré. Cette main s’est sentie libre et a embarqué le Moi profond vers des
noirceurs intimes.
Cette troisième étape dans mon parcours est celle qui est devenue effrayante
car elle me fait franchir des frontières, elle me fait découvrir des audaces
indécentes, elle m’affranchit de chagrins que je croyais insurmontables, elle
me fait supporter la douleur.
C’est pour cela que je peins.
Je peins quand je n'ai plus les mots.
C’est ce que je dis à Jno, ce sont mes réponses à sa question.
Il me regarde puis me pose une seconde question :
- Comment et jusqu’où peut-on peindre sans se mettre gravement en danger ?
Je peins quand je n'ai plus les mots.