C’est ainsi que j’ai appris à
aimer le rouge.
C’est la troisième première
phrase, celle-ci m’a été offerte par une amie qui m’a dit aussi :
- Tu fais comme tu veux, tu n’es
pas obligée.
Ma première pensée a été de me
demander pourquoi elle me proposait cette phrase pour m’aider à retrouver le
plaisir d’écrire. C’est toujours intrigant de découvrir ce que l’on peut
inspirer à des gens proches de vous, hier encore je me suis retrouvée dans
cette situation d’amis qui après avoir regardé mes peintures me disaient que
toutes ces femmes étaient tristes alors que j’étais une femme gaie et
souriante. Je n’ai rien répondu en laissant un court silence s’installer et ai
ensuite contourné leur réflexion en leur parlant des femmes en Inde que je
voyais tristes et résignées et que je peignais donc tristes et résignées. Je ne
voulais pas leur dire que c’était moi qui étais triste, que je me suis toujours
vécue comme une femme triste qui rit tout le temps.
Et aujourd’hui je me demande
pourquoi j’ai appris à aimer le rouge. Je remarque bien qu’Olivia ne m’a pas
demandé pourquoi j’aime le rouge, elle a formulé différemment et a introduit la
notion d’apprendre comme si il y avait eu une période antérieure pendant
laquelle je n’aurais pas aimé le rouge ou au mieux, je l’aurais ignoré. C’est
ce qui occupe mes pensées et en cela elle a déjà réussi à provoquer l’intense exercice
d’introspection que je mène depuis qu’elle m’a balancé la phrase un dimanche
soir.
Avant la phrase d’Olivia, il y avait déjà eu Gaurav, un ami Indien qui dès
qu’il m’avait rencontrée m’avait associée à la couleur rouge. C’est lui qui le
premier m’a fait prendre conscience que je ne peignais jamais sans utiliser le
rouge dans ma peinture et que la plupart du temps, c’est la couleur
prédominante de mes toiles ou de mes aquarelles. Gaurav m’a offert une écharpe
en soie rouge en me disant :
-You are made for this
beautiful red color.
Pour quoi suis-je faite ?
Qu’ai-je appris à aimer ?
Et dans cette troisième première
phrase que mon amie me suggère il y a aussi ce petit adverbe « ainsi »
qui m’interroge. Cela signifierait qu’à ses yeux, il y a eu un événement qui m’a
amenée vers cette couleur rouge et qui correspondrait bien à l’idée d’un
cheminement puis d’une rencontre avec le rouge.
Ce dont je suis certaine c’est
que le rouge me flanquait une trouille terrible dans mes première années d’artiste,
je ne voyais pas comment l’utiliser sans risquer des erreurs, j’avais du mal à
l’associer à sa complémentaire le vert car je trouvais que ça faisait trop
christmas day et je ne me suis pas affranchie de cette peur, le vert et le
rouge, quand ils se côtoient, j’ai du
mal à ne pas voir un sapin de Noël qui me nargue et qui rigole. Je ne me
souviens pas du moment où j’ai osé utilisé ces pigments rouges et je regrette d’avoir
oublié ces souvenirs des premières tentatives de rouge sur la toile (oui, les
souvenirs s’effacent pour revenir des années plus tard, rien d’alarmant ou de suspect
à ce phénomène), car cela m’aurait donné une piste pour répondre à Olivia. Tant
pis, on se passera de l’aspect chronologique de ma réponse.
Le rouge associé au noir m’évoque
Stendhal et cette même association me ramène en mai 68 et ses marées de
drapeaux. C’est aussi le stade toulousain, les rugbymen en rouge et noir et même
la Société Générale !
Le rouge du lipstick, le rouge du
nez des clowns, le rouge qui monte aux joues, la croix rouge, le téléphone
rouge, la place rouge, les brigades rouges…
Le rouge, couleur prédominante
dans mes placards puisque j’ai des robes rouges, des pulls rouges, des
pantalons rouges, des chaussures rouges, des vestes rouges… il ne me manque qu’un
manteau rouge que j’ai en prévision de faire confectionner lors de notre
prochain séjour en Inde.
À l’énumération de ce catalogue
de ma garde-robe je réalise que j’ai dû louper mon destin de petit chaperon
rouge. C’est la même panoplie que pour Anne Roumanoff mais je ne me vois pas du
tout en Anne Roumanoff. Je m’en tiens donc à l’idée d’être ce petit chaperon rouge qui tant qu’il gambade
dans la forêt avec sa galette sous le bras pour aller voir sa grand-mère me
plait bien et je suis d’autant plus partante pour ce rôle que j’adorais ma
grand-mère, (je n’avais encore jamais eu l’occasion de l’écrire au cours de ces
soixante-huit billets et presque six années de blog) et j’aurais volontiers traversé
et affronté la forêt affublée d’une tenue rouge ridicule pour aller lui porter
une galette et un pot de beurre. Le problème pour tenir le rôle de ce petit
personnage rouge, c’est qu’à la fin il rencontre le grand méchant loup et se
fait bouffer et que je ne suis plus trop partante pour cette issue tragique.
Oui, je sais qu’il existe des versions édulcorées où l’on ouvre le ventre du grand
méchant loup pour ressortir la petite fille mais je n’y ai jamais cru, ça fait
histoire bricolée. Le loup est méchant, un point c’est tout, c’est un loup, et
c’est au moment du loup que je me dis que j’aurais dû choisir le rôle d’Anne
Roumanoff.
Le rouge c’est ma vie, Olivia, celle
que j’ai appris à aimer, c’est la couleur par excellence, la couleur du sang et
des coquelicots, la couleur de la passion et de la révolution.
C’est ainsi que j’ai appris à aimer
le rouge.