mercredi 11 avril 2018

C’est ainsi que j’ai appris à aimer le rouge.




C’est ainsi que j’ai appris à aimer le rouge.
C’est la troisième première phrase, celle-ci m’a été offerte par une amie qui m’a dit aussi :
- Tu fais comme tu veux, tu n’es pas obligée.

Ma première pensée a été de me demander pourquoi elle me proposait cette phrase pour m’aider à retrouver le plaisir d’écrire. C’est toujours intrigant de découvrir ce que l’on peut inspirer à des gens proches de vous, hier encore je me suis retrouvée dans cette situation d’amis qui après avoir regardé mes peintures me disaient que toutes ces femmes étaient tristes alors que j’étais une femme gaie et souriante. Je n’ai rien répondu en laissant un court silence s’installer et ai ensuite contourné leur réflexion en leur parlant des femmes en Inde que je voyais tristes et résignées et que je peignais donc tristes et résignées. Je ne voulais pas leur dire que c’était moi qui étais triste, que je me suis toujours vécue comme une femme triste qui rit tout le temps.
Et aujourd’hui je me demande pourquoi j’ai appris à aimer le rouge. Je remarque bien qu’Olivia ne m’a pas demandé pourquoi j’aime le rouge, elle a formulé différemment et a introduit la notion d’apprendre comme si il y avait eu une période antérieure pendant laquelle je n’aurais pas aimé le rouge ou au mieux, je l’aurais ignoré. C’est ce qui occupe mes pensées et en cela elle a déjà réussi à provoquer l’intense exercice d’introspection que je mène depuis qu’elle m’a balancé la phrase un dimanche soir.

Avant la phrase d’Olivia, il  y avait déjà eu Gaurav, un ami Indien qui dès qu’il m’avait rencontrée m’avait associée à la couleur rouge. C’est lui qui le premier m’a fait prendre conscience que je ne peignais jamais sans utiliser le rouge dans ma peinture et que la plupart du temps, c’est la couleur prédominante de mes toiles ou de mes aquarelles. Gaurav m’a offert une écharpe en soie rouge en me disant :
-You are made for this beautiful  red color.
Pour quoi suis-je faite ?
Qu’ai-je appris à aimer ?
Et dans cette troisième première phrase que mon amie me suggère il y a aussi ce petit adverbe « ainsi » qui m’interroge. Cela signifierait qu’à ses yeux, il y a eu un événement qui m’a amenée vers cette couleur rouge et qui correspondrait bien à l’idée d’un cheminement puis d’une rencontre avec le rouge.
Ce dont je suis certaine c’est que le rouge me flanquait une trouille terrible dans mes première années d’artiste, je ne voyais pas comment l’utiliser sans risquer des erreurs, j’avais du mal à l’associer à sa complémentaire le vert car je trouvais que ça faisait trop christmas day et je ne me suis pas affranchie de cette peur, le vert et le rouge, quand ils se côtoient,  j’ai du mal à ne pas voir un sapin de Noël qui me nargue et qui rigole. Je ne me souviens pas du moment où j’ai osé utilisé ces pigments rouges et je regrette d’avoir oublié ces souvenirs des premières tentatives de rouge sur la toile (oui, les souvenirs s’effacent pour revenir des années plus tard, rien d’alarmant ou de suspect à ce phénomène), car cela m’aurait donné une piste pour répondre à Olivia. Tant pis, on se passera de l’aspect chronologique de ma réponse.

Le rouge associé au noir m’évoque Stendhal et cette même association me ramène en mai 68 et ses marées de drapeaux. C’est aussi le stade toulousain, les rugbymen en rouge et noir et même la Société Générale !
Le rouge du lipstick, le rouge du nez des clowns, le rouge qui monte aux joues, la croix rouge, le téléphone rouge, la place rouge, les brigades rouges…

Le rouge, couleur prédominante dans mes placards puisque j’ai des robes rouges, des pulls rouges, des pantalons rouges, des chaussures rouges, des vestes rouges… il ne me manque qu’un manteau rouge que j’ai en prévision de faire confectionner lors de notre prochain séjour en Inde.

À l’énumération de ce catalogue de ma garde-robe je réalise que j’ai dû louper mon destin de petit chaperon rouge. C’est la même panoplie que pour Anne Roumanoff mais je ne me vois pas du tout en Anne Roumanoff. Je m’en tiens donc à l’idée d’être ce  petit chaperon rouge qui tant qu’il gambade dans la forêt avec sa galette sous le bras pour aller voir sa grand-mère me plait bien et je suis d’autant plus partante pour ce rôle que j’adorais ma grand-mère, (je n’avais encore jamais eu l’occasion de l’écrire au cours de ces soixante-huit billets et presque six années de blog) et j’aurais volontiers traversé et affronté la forêt affublée d’une tenue rouge ridicule pour aller lui porter une galette et un pot de beurre. Le problème pour tenir le rôle de ce petit personnage rouge, c’est qu’à la fin il rencontre le grand méchant loup et se fait bouffer et que je ne suis plus trop partante pour cette issue tragique. Oui, je sais qu’il existe des versions édulcorées où l’on ouvre le ventre du grand méchant loup pour ressortir la petite fille mais je n’y ai jamais cru, ça fait histoire bricolée. Le loup est méchant, un point c’est tout, c’est un loup, et c’est au moment du loup que je me dis que j’aurais dû choisir le rôle d’Anne Roumanoff.

Le rouge c’est ma vie, Olivia, celle que j’ai appris à aimer, c’est la couleur par excellence, la couleur du sang et des coquelicots, la couleur de la passion et de la révolution.
C’est ainsi que j’ai appris à aimer le rouge.