La scène se passe dans les locaux de conseil de l’ordre des médecins de Toulouse.
Il est assis en face de moi et je ne l’ai pas reconnu.
Quand il est entré dans la salle de réunion du conseil de l’ordre des médecins accompagné des trois médecins conciliateurs, je lui ai demandé qui il était et il m’a regardé éberlué en me disant :
« Mais je suis le Dr D. ! Quand même… Moi, je vous reconnais. »
Oui, lui, il me reconnaît, mais moi je ne le reconnais pas, je ne l’ai vu qu’une seule fois il y a plus d’un an et il fait partie de ces gens dont on se dépêche d’oublier la tête qu’ils ont. Il est super vexé le Dr D. et il le laisse bien voir. Je marque le premier point sans aucun calcul, il sait au moins qu’il n’a pas hanté mes nuits, alors que là, je commence à me dire que lui, il a pensé à moi.
Et après l’avoir écrit, je raconte encore ce rendez-vous où il m’a expliqué mon anatomie en me parlant de « la caravane du tronc du cou ». Il me faut répéter une nouvelle fois cette contrepèterie infâme, cet enchaînement de mots sur lesquels je suis obligée de me concentrer, car je ne suis pas à l’aise avec les contrepèteries, je les comprends rarement, et du fait que je les décrypte mal, je suis obligée de les penser décryptées pour être ensuite capable de les énoncer dans l’ordre des mots dictés par ladite contrepèterie. C’est compliqué et cela produit un galimatias incroyable dans ma tête, un affolement, une peur de prononcer le mot obscène. Je parviens malgré cette trouille à énoncer la contrepèterie sans trop hésiter et vérifie d’un coup d’œil en direction des médecins conciliateurs qu’ils ont bien compris eux aussi. Ils ont même l’air d’en avoir bien saisi le sens. Je leur précise que le Dr D. m’avait d’ailleurs demandé si j’avais bien compris sa contrepèterie et j’en profite pour me tourner vers lui et lui poser la question que j’ai en tête depuis des mois :
« Que m’auriez-vous dit si je vous avais répondu non ? Vous me l’auriez expliquée ? Et vous me l’auriez-vous expliquée comment ? ». Il baisse la tête sans répondre en tournant les pages du dossier qui est posé devant lui.
Je termine mon récit et il prend la parole à son tour en s’agitant comme un asticot. Il a changé sa défense et ne nie plus avoir prononcé cette contrepèterie que d’ailleurs il nomme contrepet. Sur le coup il me perd, car un médecin qui parle de pet, ça me fait partir sur un autre terrain et j’ai envie de rire. Malheureusement, je reviens vite à son discours au moment où, justement, il explique que je n’ai aucun humour. Ceux qui me connaissent apprécieront. Il ne prétend plus comme dans son courrier de réponse à mon signalement que je suis une menteuse, maintenant il dit que Mme P. (c’est ainsi qu’il me nomme dans son courrier) n’a aucun humour et fait bien des histoires. Enfin, je suis tout de même « un peu menteuse », puisqu’aux dires du docteur D., il n’a jamais parlé de « caravane », mais il aurait dit que « la femme a le tronc près du cou ». Je ne sais pas si cela aurait été vraiment mieux et si cela aurait changé quoi que ce soit à sa vulgarité, les médecins conciliateurs semblent en douter et continuent de lui dire qu’on ne peut pas tenir ces propos à une patiente. Le docteur D. insiste sur mon manque d’humour, en expliquant que cette phrase, presque philosophique, était prononcée par l’un de ses professeurs, un grand médecin urologue, et qu’il l’a adoptée comme une espèce de devise pour se rappeler son maître. Il cherche à gagner l’approbation des autres médecins, mais ça ne marche pas. Ils le réprimandent et lui répètent une nouvelle fois que non, on ne peut pas dire cela à une patiente.
Il leur affirme que cela n’était pas agressif, mais simplement amical. Je précise au Dr D. que nous ne sommes pas des amis, que je le voyais pour la première fois, que j’étais en souffrance et qu’avant de devenir son amie en admettant que cela eût été envisageable, il m’aurait fallu un peu plus de temps, d’autres circonstances et un environnement différent.
Il recommence à plaider le fait que j’exagère de faire toute une histoire pour cela et que cela prouve bien que je suis quelqu’un de fermé et sans humour. Il raconte que oui, il fait cette contrepèterie avec toutes ses patientes et que jamais personne ne l’a attaqué là-dessus. C’est bien la première fois qu’une plainte est déposée. Je lui fais remarquer que c’est sans doute que personne n’a eu le courage de se plaindre, car effectivement ce n’est pas une démarche simple, mais que cette absence de réactions ne signifie pas que ses patientes étaient d’accord avec sa vulgarité. Et comme nous sommes dans la semaine avant le deuxième tour de l’élection présidentielle, il bredouille que, quand Madame Le Pen sera élue, ça ne se passera plus comme ça, des patients qui se plaignent pour rien… Je ne comprends pas ce qu’il veut dire et c’est sans doute mieux, car cela m’a permis de ne pas me mettre en colère. Il repart acculé dans sa défense maladroite en prenant les conciliateurs à témoin :
« La lettre de Madame Piaser, je l’ai fait lire à tout le service, même les secrétaires étaient écroulées de rire ».
C’est là qu’il m’a fallu de la force pour rester assise et ne rien dire, le laisser me mépriser jusqu’au bout, le laisser s’épuiser à baver sa peur.
Il ne savait rien expliquer, simplement me dire en agitant des feuillets sous mon nez que son avocat était prêt à intervenir et que le courrier pour son assureur était prêt à être posté.
Je n’avais rien sous les yeux, juste le bois nu de la table. J’avais parlé sans notes et sans hésitation, alors que lui lisait en gigotant, un texte que, sans doute, son conseil l’avait bien aidé à préparer.
Après avoir terminé de dire tout ce qu’il avait à dire, et ce, sans la moindre excuse, il reprend la parole pour faire du placement de produit et expliquer à l’auditoire présent que son livre sur les contrepèteries venait de sortir et qu’il avait déjà été contacté par la librairie Ombres Blanches de Toulouse pour organiser une séance de dédicaces.
Personne ne l’interrompt.
Je me lève et je quitte la réunion du conseil de l’ordre des médecins.
Un médecin me rejoint dans le hall, il s’excuse et me demande des nouvelles de mon urètre.
Il était temps.