jeudi 19 mars 2015

Ne pas s'habituer, c'est résister.



  Toulouse, Paris, Bruxelles, Copenhague, Bamako, Tunis… La Syrie, la Libye, l’Égypte, l’Algérie… Le Yémen…
  Ce n’est même pas une liste, c’est du vrac. À quoi bon dresser une liste, elle sera incomplète et le restera puisqu’elle augmente jour après jour.
  
  Hier soir, une question a surgi. 
  Allons-nous nous habituer ?
  Allons-nous vivre dans l’habitude des tueries, des attentats, des prises d’otage, des menaces ?
  Faudra-t-il nous habituer à la terreur ?
  J’ai eu soudain peur de mon questionnement qui signifiait que, si je m’habituais, j’acceptais.
  J’ai pensé à ma fille qui, la semaine dernière, me confiait sa désespérance face à la cruauté des hommes.
  « Maman, comment fait-on pour résister ? », ce sont ses mots. 
  Elle me demandait comment nous pouvions résister, elle me questionnait, elle attendait que je la guide.
  Les mots rassurants ne venaient pas.
  Cette situation d’une mère parlant à sa fille de résistance, je ne l’avais jamais imaginée.
  Quand je dis que je « parlais », c’est inexact. Je ne parlais pas avec ma voix, je parlais avec mes doigts sur le clavier, ce qui me donnait l’avantage du temps gagné par l’excuse du temps de connexion. Si peu de temps gagné pour trouver les mots intimes et consolants, mais aussi les mots utiles et militants.
  J’ai bloqué sur les références historiques, je n’ai pas osé lui parler de Lucie Aubrac ou de Stéphane Hessel. Non pas que j’aie des doutes sur ses connaissances culturelles ou historiques, non, tout simplement parce que j’avais peur que mes références soient démesurées. Et aussi parce que je savais qu’elles ne l’étaient pas… C’était effrayant de le réaliser.
  
  Je lui ai dit notre devoir de communiquer et de dénoncer sans jamais se lasser.
  Je lui ai dit que nous avions la possibilité de parler et d’écrire librement et qu’il fallait le faire.
  Je lui ai dit de ne jamais se taire, de ne jamais céder à l’habitude de l’horreur.
  Je lui ai dit de ne pas avoir peur de son indignation.
  Et puis j’ai écrit « Bizzzz à+ »
  J’ai fermé l’étui de l’iPad, ça a fait clac.
  J’ai repris ma respiration, j’ai essayé de ne pas pleurer.
  Je n’avais jamais envisagé que je devrais un jour répondre à cette question : « Maman, comment fait-on pour résister ? »

  Ce matin, ma question d’hier soir avait évolué en : « Comment allons-nous faire pour ne PAS nous habituer ? »
  Ne pas s’habituer c’est résister.
  L’habitude est ce qui me fait le plus peur dans ma vie ordinaire. C’est mon ennemi quotidien, ma terreur nocturne.
  L’habitude me semble tellement tentante, tellement confortable, tellement libératrice de mes angoisses.
  Ne surtout pas céder à la tentation de l’habitude.
  « On n’oublie rien de rien. On s’habitue c’est tout » Brel le savait et je ne pense pas que ça lui convenait.
  Hier soir, cette idée d’un terrorisme habituel et banalisé m’a laminée. J’ai eu peur de réaliser que c’est bien ainsi que les guerres se déroulent, dans l’habitude des combats et des attentats, des exécutions, des viols et des tueries.
  Je sais aussi que je ne m’habituerai pas parce que je suis habituée à ne pas m’habituer.
  Je suis habituée à dire et écrire ce que je pense sans jamais en ressentir aucune peur. Et je m’en sens forte.
  Sans concession. 
  C’est ce que Simon dit de moi. 
  Il dit aussi que je suis concernée.  
  
  Je vais continuer mon chemin sans m’habituer, sans concession, sans oubli, avec certitude et indignation. Concernée. 

  Et même si le vent se lève ! … il faut tenter de vivre !
  Ne t’habitue jamais ma fille.